"Belges de tous bords, sus aux pauvres !"

@Belga

Le 7 novembre dernier, RTL-Tvi diffusait une émission de la série « Je vous dérange » de C. Deborsu sous le titre « Sans boulot : tous fraudeurs ?«  Ce reportage mettait en scène la situation de quelques personnes confrontées à diverses difficultés de la vie et qui ont pour point commun de bénéficier de revenus de remplacement ; l’émission présente ceux-ci comme très (trop) généreux. Parce qu’elle est biaisée de part en part, cette livraison nécessite une mise au point que nous exprimons au nom de toutes celles et ceux qui doivent se débattre au quotidien dans la pauvreté.

Nous ne ferons nul procès d’intention à la production et à la réalisation, même si d’aucuns ont pu se dire frappés de la coïncidence entre cet étalage à charge et certaines mesures que le gouvernement fédéral semble peiner à faire adopter. Nous nous en tiendrons à attirer l’attention sur certains aspects du fonctionnement de cette émission et sur certains effets qu’elle pourrait produire dans la population, nous préparant à en développer l’analyse ultérieurement.

Pour comprendre, on gagnerait nous semble-t-il à s’intéresser à l’utilisation récurrente d’un « deux poids (sociaux) deux mesures » : en haut de la société, tel comportement est jugé positivement (ou est admis) ; en bas, il est conspué (ou est réprimé). Ainsi de l’effet d’aubaine qui peut accompagner une aide publique : pour les entreprises (ou les sociétés d’intérim en matière de chômage), il n’est ni contrôlé, ni traqué ni même condamné ; pour les personnes en grande difficulté, il s’agirait d’un scandale à éradiquer.

Serait-ce que pour « l’opinion majoritaire » tous les comportements capitalistes sont finalement considérés comme profitables à la société, tandis que les personnes qui en subissent les violences seraient conduites par la seule volonté de se conduire (et elles seules?) en profiteurs ? L’entreprise qui délocalise malgré ses engagements envers l’État et envers ses travailleurs n’est pas condamnée ; celle ou celui qui, peu fortuné, « se casse » dans un pays où la vie est moins chère encourt un opprobre généralisé.

Les exemples de cette nature sont très nombreux, dans l’émission comme dans les lieux communs. Un banquier, un ex-ministre, un chef de grande entreprise, un président suspectés ou condamnés sont présentés comme des accidents qui ne conduisent pas à un rejet général de ce type de fonction ; en bas de la société, on semble pouvoir poser la question d’une prétendue généralisation bien plus facilement…

Nous qui avons eu la chance de pouvoir suivre une scolarité dans des conditions acceptables, nous avons reçu l’héritage de plus de deux mille ans d’exercice de la logique. A ce titre, nous savons que prendre une conséquence pour la cause est une faute. Faudra-t-il dès lors rappeler que le travail comprend une série d’incitants (d’échéances, de rendez-vous, de stimulations, parfois de gratifications) qui sont générateurs d’énergie et facilitent peu ou prou le lever le matin ; que sa privation a pour conséquence un temps vide sans sollicitation ni sollicitude ?
La perte de sens et d’énergie qui en découle ne peut être imputée aux seules personnes, encore moins être considérée comme la cause de leurs problèmes…

De même une rupture de niveau dans le raisonnement ne peut être acceptée, comme de conclure à un problème de mentalité en Wallonie à partir de quelques exemples dont on ne connaît ni le contexte ni les circonstances réelles, ni les rouages.
Sommes-nous si sûrs que la fausse alternative « travailler ou s’occuper de ses enfants », par exemple, n’est en réalité pas biaisée par l’impossibilité effective de trouver une autre solution ?

Il faudrait aussi s’intéresser, dans une telle émission, à de menus détails en apparence : quels chiffres, ainsi, font l’objet d’une infographie et d’un calcul ? Pas ceux d’expérience, alimentés par une connaissance de première main, cités par le facteur interrogé, en tout cas : 4 « fraudes au domicile » sur 6 000, cela donnerait un pourcentage de 0,000666 ; serait-il trop long à afficher ?

En termes d’effets possibles, cette plongée dans l’intimité de personnes en grande difficulté ne s’apparente-t-elle pas à une violation du principe d’humanité : « on ne tire pas sur une personne à terre » ?

Sans parler des sentiments de rejet ou de haine qu’une telle présentation biaisée peut susciter chez des personnes que tenaille la peur du déclassement, chez des personnes qui sont occupées malheureusement à basculer, même chez des compagnons d’infortune, sans compter les moralisateurs immoraux qui pourront jeter un voile d’ignorance sur certains aspects de leur situation en pointant les pauvres comme coupables de leur situation et des intolérables abus qu’ils se permettent.

On pourra couronner tout cela en accusant de complaisance si ce n’est de complicité, pour les faire taire, celles et ceux qui ne peuvent s’accommoder des manipulations faciles et des simplifications outrancières et outrageantes.